mardi 1 février 2022

8 mois en Géorgie + un film à découvrir

 Je continue mon petit périple, quotidien, pas grand chose de nouveau par rapport aux mois précédents.
En ce moment, j'écoute la radio, le soir, une demie heure, en plus de ma révision de vocabulaire.
C'est assez compliqué de trouver des radios géorgiennes qui diffusent autre chose que de la variété internationale en anglais.

amra ( logo vert) est spécialisé dans la variété géorgienne de toutes périodes et donc, il y a assez peu d'autres choses ( du russe de temps en temps, j'ai entendu un morceau en franaçs et un autre en portuguais sur plusieurs heures d'écoutes)


https://onlineradiobox.com/ge/?lang=fr

Mais j'ai la satisfaction de repérer du vocabulaire, des formules récurrentes que je peux aller chercher ha tiens ça veut dire ça? ho mais là il a dit " chemi Tbilisso, , chemi Sakhartvelo", c'est du vocatif, on s'adresse à la ville ou au pays comme à quelqu'un: Mon Tbilissi, ma Géorgie, c'est une allégorie, yeah, j'ai compris!

J'ai enfin réussi à choper les infos: politsia, politsieli, armia, administratsia, sanktsi, systema, partia, regionuli korespondenti, dedakalaki, Sochi,.. (ha, c'est les affaires intérieures et la politique)
Pranguli, saprangeti, propaganda ( tiens, les elections en France)
Million nakhevari kilometri, teleskopi James Webbi systema ekzoplaneti, ati milliardi dollari ( ha, la science..)

Alerte pépites!

შენი ჭირიმე:  " sheni tchirime" :(idiomatic) an untranslatable expression of endearment towards a familiar listener.
Qui signifie "Ta Peste (au sens ta tristesse/ ta souffrance) pour moi". Je comprends " tu m'es tellement cher que je veux bien t'écouter parler de tes problèmes et te remonter le moral". A éviter selon le contexte, ça peut être "mon chéri", un coup à faire une déclaration d'amour à quelqu'un sans le vouloir.
ou dans la même idéeგენაცვალე [ genatsvale]: " fais passer" ( partage tes problèmes). Même idée pour dire " chéri(e)". Ou bien les géorgiens ont une vision très pessimiste sur la vie, telle une vallée de larmes où il n'y a pas d'espoir possible ( ce qui ne me parait pas être spécialement le cas), ou bien ils sont super sentimentaux, sentimentaux² (probablement plutôt ça, je ne compte plus le nombre de chansons où j'entends " amour" ou " joie" ou "amis")

Je sais donc quoi dire lorsque je rencontrerai un cuisinier professionnel :D "partage tes malheurs avec moi.. et surtout, tes khinkali"

Et deuxième mini victoire:  j'ai pu regarder enfin, un film de bout en bout. Avec des sous-titres français, certes, mais, d'une manière générale, ça fait aussi plaisir un film géorgien qui ne soit pas d'Otar Iosselani, ou qui ne date pas d'il y a 50 ans, car oui il y a un cinéma géorgien contemporain... rarement diffusé à l'étranger. Et y repérer aussi des mots, des dialogues, etc..

Et on va continuer dans le domaine sentimental, avec une histoire d'amour, de musique, d'art.. toute mignonne, un vrai petit coup de coeur

Et puis nous danserons ( film 2019) და ჩვენ ვიცეკვეთ

 Voilà un film dont j'avais vu un extrait en ligne qui m'avait beaucoup plu, mais.. je n'avais jamais pu voir le film lui-même, qui n'était pas sorti dans ma ville fin 2019 puis... 2020 est arrivé, et lorsque le cinéma d'art et d'essai de ma ville  a rouvert, le film n'était déjà plus une nouveauté, et donc, est passé  à l'as de la programmation. Entre temps je n'avais même pas su sous quel titre il avait été distribué en France, et je l'avais oublié.


Et, comme j'ai traîné, j'en parlais précédemment, sur des sites et chaînes youtube dédiées à la langue géorgienne, l'extrait est réapparu en suggestion. Quelques clics pour voir quelques extraits, l'interview du réalisateur, de l'acteur principal, d'un français qui l'a vu et a beaucoup aimé et explique concrètement pourquoi, j'ai décidé de le regarder en VOD, dès le lendemain.

Déjà un film géorgien, ce n'est pas souvent. Puis c'est l'occasion de me cultiver un peu. Puis ça parle de danse et de musique traditionnelle, mais pas que.

De quoi s'agit-il?  Simplement d'une histoire d'amour entre deux hommes que tout destinait à devenir rivaux, dans le domaine de la danse traditionnelle géorgienne.

Merab, le héros est un danseur qui prépare une audition pour intégrer la principale troupe de danse traditionnelle de Tbilissi. Une danse très codifiée, aux règles très strictes. Et depuis le début, il s'entend dire qu'il doit représenter la force, la virilité, le fier héros guerrier... face aux femmes dont le rôle est d'incarner la pureté virginale...  vous n'avez pas le droit à la faiblesse, vous n'avez pas droit à la sensualité, il n'y a pas  d'ambiguité dans cette danse etc..
Ca ne lui plaît pas et suite à tout ce qu'il a vécu au long du film, il décide d'envoyer bouler tout ça, de danser comme il en a envie, et de laisser libre cours à son moi profon, d'inventer son propre moyen d'expression en fusionnant la danse traditionnelle avec qui lui est refusé.

Et comment en est-il arrivé là?  Il danse depuis son plus jeune âge dans une troupe locale, avec son frère, beaucoup moins sérieux dans son apprentissage. Sa mère, son père, sa grand mère sont tous anciens danseurs.  Mais la famille vit un peu dans la dèche, les parents sont divorcés, Merab travaille au restaurant pour les aider et simplement rapporter des restes à manger. Donc une existence pas fofolle, compliquée sans être non plus totalement la misère, et dans laquelle il y a l'espoir d'un engagement officiel dans une troupe nationale, qui règlerait les soucis d'argent.

Espoir bousculé du jour au lendemain par l'arrivée d'un nouveau participant, Irakli, qui est meilleur que lui. Mais contre toute attente, le temps de se jauger, ce n'est pas une histoire de rivalité qui va se nouer entre les deux, mais une histoire d'amour. Ils deviennent rapidement amis, mais le spectateur n'est pas dupe. Les jeux de regards, les sourires, tout ça sans un mot... ne trompent personne . Et surtout pas le héros, qui le temps d'encaisser son coup de foudre et la révélation qu'il n'est pas vraiment ce qu'il croyait être, prend très bien son homosexualité, ou au minimum, sa bisexualité. "Je suis tombé amoureux d'un autre homme, c'est inattendu et compliqué, mais du moment que ça me rend heureux, je ne vois pas où est le problème"
Ben, le problème est que, bien que la Géorgie ne soit pas un pays légalement homophobe, et qu'il y ait des lois de protections  de la communauté LGBT, dans les faits, les gens concernés sont repoussés par la tradition et le poids de l'église orthodoxe en marge de la société.

Car le vrai sujet est là: comment vivre son homosexualité, sa bisexualité ou toute autre différence dans une société plombée par la morale religieuse orthodoxe. En filigrane, c'est ce rigorisme religieux qui est pointé du doigt ( la référence régulière aux arméniens, mal vus, est je pense, moins une dénonciation de la xénophobie, que liée au fait que les religions dominantes soient catholique en Arménie et orthodoxe en Géorgie). On apprend vite que la place qui s'est libérée dans la troupe principale est celle d'un danseur qui a été renvoyé pour être avoir été pris en flag' avec un autre homme. ( et pire que tout, en flag' " avec un arménien" CQFD). On ne le voit jamais, mais son histoire est racontée par bribes: envoyé au monastrère pour " rentrer dans le droit chemin", abusé sexuellement par un prêtre, rejeté par sa famille et tout employeur potentiel, contraint à faire le tapin pour survivre. Donc si l'un des deux, ou les deux héros, se font pincer, ils peuvent dire adieu au minimum, à leur audition et à leurs espoirs de carrière, et peut-être, au soutien de leur famille.

A cet égard, je pense qu'il n'est pas anodin que Merab soit vu plusieurs fois en train de mâchouiller la croix qu'il porte au cou, au bout d'une chaîne: les traditions, la religion, les superstitions enchaînent le héros, mais aussi le pays. Comme en Russie, c'est moins la population qui est homophobe que les partis politiques et les religieux intégristes qui en ont fait leur fond de commerce. Les gens suivent par tradition ( je connais personnellement quelqu'un, catholique pratiquant, intelligent et solidaire par ailleurs, mais homophobe simplement parce que l'église s'oppose à l'homosexualité. Si demain, on trouvait  une version d'origine de la bible disant " foutez les paix aux gens, qu'ils sortent avec qui ils veulent, ça n'a aucune importance", il cesserait tout simplement de l'être)

A contre pied, et ça fait du bien, la relation entre les deux hommes est simple, saine, consentie, sans rapport de force, ni de menaces, ni de contrainte. Tout est en subtilité, une relation tendre et complice, sensuelle et sans perversité . Pour eux, elle est tout aussi normale qu'une autre, et donc pas de mortifications, de "on ne devrait pas, c'est pas bien". Non, ils sourient, rient et dansent en toute complicité, tout en restant dans la limite de ce qui est publiquement accepté pour ne pas éveiller les soupçons ( on est dans un pays où danse spontanément en public entre amis, où on peut être tactile, un peu plus qu'en France du moins)
Et si par la force des situations elle n'aboutit pas, c'est le parcours de Merab qu'on suit et comment la révélation de sa différence, le passage dans sa vie de ce petit ami ephémère, va le faire progresser en tant qu'homme et en tant qu'artiste. Ce qui est donc visible dans la séquence suivante: l'acceptation de sa part féminine, de la sensualité qui lui est refusée mais fait partie intégrante de son identité, hors des limites qu'on veut lui imposer. Et ça c'est magnifique. Ca fait tellement plaisir à la femme que je suis de voir un homme.. radieux, être libre de ne pas correspondre à ce que la société attend de lui et décider consciemment de ne plus entrer dans le moule qui plus est, en transcendant tout ça par l'art.


Et bon sang, que l'acteur principal est bon dans ce registre, crédible, touchant, et véritablement d'une expressivité et d'un naturel rares. Pas le " beau gars standard" (son camarade brun y correspondrait plus, et parait un peu fade en comparaison)  mais, et c'est infiniment mieux, avec ses cheveux cuivrés bouclés, ses taches de rousseur, son teint diaphane et sa souplesse de chat, il a un charme fou, justement parce qu'il sort des standards, de la norme. Lumineux et adorable petit gars.
Il se nomme Levan Gelbakhiani, et j'espère vraiment le revoir dans d'autres films, il crève l'écran. En espérant qu'on ne le cantonne pas à un seul type de rôles. C'est un danseur contemporain professionnel qui, ce n'est pas anodin, a mis beaucoup de temps à accepter ce rôle, pour ne pas risquer de bousiller sa carrière ou se mettre en danger, lui ou sa famille. Et a fini par le faire en espérant que ça fasse évoluer les mentalités dans son pays. Il a d'ailleurs dû s'entraîner intensément à la danse traditionnelle, qu'il connaissait mais ne pratiquait pas spécialement, pour être crédible. Nul doute que ce rôle l'aura aussi poussé hors de sa zone de confort et fait évoluer sur un plan personnel, humain, et artistique.

Et donc ma révélation du mois, ce sont donc les deux Levan: Levan Akin, le réalisateur, qui a eu l'envie de faire bouger les choses avec un projet culotté ( et j'apprend qu'il a travaillé en Suède sur des épisodes de Akta Manniskor, excellente série à laquelle j'espère encore une suite). Et, donc, Levan Gelbakhiani, le jeune acteur débutant. Ici une interview en anglais où il explique ses difficultés et même le danger qui l'a menacé avec ce rôle. L'équipe a réellement reçu des menaces de mort de la part des groupes d'extrême droite.
Mais il est en train de rafler des prix pour sa prestation dans nombre de festivals, un nom à suivre, donc. Et également, Bachi Valishvili, l'autre acteur du film, très prometteur lui aussi. Un trio qui semble en plus être devenu une bande de copains, et donc si le film se double d'une belle histoire d'amitié, ça ne peut que me plaire d'autant plus.

Aparté, les deux acteurs et le réalisateur sont hétéros ( ce qui est critiqué par une partie de la communauté LGBT), mais espèrent faire évoluer les mentalités dans leur pays.. et sont donc involontairement devenus les porte-étendards de la cause gay. Et du point de vue du réalisateur, c'est une réussite, qui commence à faire évoluer les choses, il a reçu des témoignages et remerciement de géorgiens et géorgiennes LGBT ou soutiens, de gens qui lui disent avoir été inspirés, à se libérer. Il souligne que la population a fait un accueil favorable au film.

Pour voir le film c'est là: https://www.universcine.com/films/et-puis-nous-danserons ( visible en VOD soit à la séance, soit à l'achat pour le revoir, j'ai choisi cette option parce que je savais qu'il allait me plaire et que je voudrais le revoir dans quelques temps, au minimum pour la langue.
Le faire voir à ma mère aussi, ça va lui plaire.

Constatation 1:  le titre français diffère de celui international " and then we danced" ou du titre russe qui est aussi au passé. C'est intéressant, la fin est ouverte, les titres européens mettent l'accent sur la fin d'une situation quand la France (coproductrice), choisit le futur et l'optimisme.

Constatation 2: ce films est rempli de détail qui semblent anecdotiques mais ne le sont pas. Et ça donne une des plus belles scènes de rupture que j'aie vue au cinéma (l'anneau puis la boucle d'oreille)

A noter que les mentalités sont longues à  faire bouger: le film a causé des remous à sa sortie en Géorgie, accusé par les partis conservateurs de dénaturer la tradition du pays, de faire de la propagande gay... souvent, par des gens qui avaient décidé de son contenu avant même de le voir. Il n'a rien de choquant, même les scènes intimes restent dans la suggestion, et on est loin en dessous de l'étalage de chair du moindre film américain où il y a forcément LA scène hot pour avoir une scène hot, souvent sans grand intérêt narratif... là ça s'intègre à la narration, ça fait partie intégrante de la découverte des héros de leur identité, et ça n'a rien de vulgaire.
Une très jolie découverte, pleine de sensibilité, sur fond d'art et de musique.  Vraiment, un film qui est passé inaperçu du grand public ( mais pas des festivals), mais qui mérite une seconde chance.

Analyse d'un point de vue cinématographique ( et non politique, polémique etc.. ), sur en particulier l'éclairatre très travaillé et très beau.


Un article en anglais sur les rapports entre le film, accusé de gifler la culture géorgienne, et les références qu'il y contient pourtant ( et il y en a beaucoup), à commencer par une jubilatoire séquence de danse improvisée en caleçon avec un chapeau traditionnel, après une soirée d'anniversaire très arrosée, sur un tube pop. Un  numéro de charme naturel, plein d'humour et décomplexé, qui confirme ce que disait le cinéphile sur la lumière, elle est magnifique et pleine de sens. La position respective des personnages et l'éclairage annonce quelle sera leur attitude dans la vie, et vis à vis de leur particularité. et qui in fine, est le mieux taillé à résister à la pression sociale. Sans un mot, juste avec une belle lumière cuivrée.

Par contre je vous préviens d'avance, parce que c'est surprenant, ce film pourrait être sponsorisé par "les clopes", je n'ai jamais vu autant de monde fumer aussi souvent à l'écran. Dites, les gars, et les nanas, c'est pas trop compatible avec la danse, qui demande souffle et endurance! Ca  picole sec aussi d'ailleurs.😅

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