Ce que je vais dire n'est valable a priori qu'au sein d'un système de langue donné: indo-européen, afro-asiatique, nigéro-conglaise, etc...mais il n'y a pas a ce jour (hors emprunts) de récurrences majeures qui permettent de faire un pont entre les systèmes de langues.
Autre précaution:je ne parle QUE de la composante linguistique ici. Basée sur des choses tangibles: les langues actuelles et leurs versions antérieures, qui permettent de remonter à une forme ancienne, non attestée mais reconstituée par tâtonnements.
Et nullement la très hypothétique théorie d'une "société indo-européenne" constituée, instituée, unique, homogène et définie, sur un territoire précis, qui tient autant du mythe que l'Atlantide. Mais cette querelle théorique de savants a été le terreau involontaire d'une idéologie particulièrement nauséabonde, clamant la suprématie des "bons aryens"
Mais pour développer ça commençons par le commencement.
1- Les racines , kézaco?
Pendant très longtemps, on s'est bien rendu compte que les langues voisines géographiquement étaient aussi souvent proches entre elles: le français , l'italien et l'espagnol, qui font partie de la famille des langues latines et l'anglais , l'allemand et le danois, mettons qui font partie de la famille des langues germaniques.
Mais ce n'était pas forcément intuitif la base de trouver un rapport entre ces deux groupes. Quand aux langues slaves, elles paraissaient encore plus éloignées. Ce n'est qu'à la fin du XVIII° siècle et depuis qu'on a vraiment commencé à chercher systématiquement les récurrences. Je ne vais pas entrer dans le détail des pionniers de la grammaire et de la linguistique comparées, mais juste citer le plus important: Franz Bopp.
Et signaler que cette recherche est plus ou moins contemporaine de "l'origine des espèces"de Darwin: on a appliqué la même recette pour trouver la parenté des espèces - qu'elles soient végétales ou animale- et la parenté des langues.
Il y a quelque chose de bien connu concernant les langues sémitiques, qui se nomme" racine trilitère" ( de 3 lettres). La particularité de l'arabe et de l'hébreu, pour ne citer que les deux les plus connues et répandues est d'être basé sur des "racines" de mots composées de deux ou plus souvent trois CONSONNES.
D'ailleurs l'hébreu même ne note pas à l'écrit ses voyelles, seules les consonnes sont notées, il faut connaitre le mot pour le lire " DWD" (le w note le son Wa, qui peut partir vers un V ou se transformer en voyelle) peut aussi bien être David, que Dod ( oncle, de mémoire. Donc Tonton David serait Dwd dwd? Mais non, je vous jure que je ne vous prend pas pour des cons)
Les consonnes étant la partie la plus solide du mot, celle qui varie le moins, on va noter la structure d'une racine X°X°X ( les ° représentent les voyelles, qui peuvent varier en "degré d'ouverture": le o est plus fermé que le a. Il y a des récurrences là aussi, mais on va en rester aux consonnes)
hop exemple:
Racine SLM ( je vous épargne l'alphabet hébraïque ou les notations particulières à la linguistique - parce que j'ai la flemme d'aller chercher les codes pour l'API ou le système pour coder des lettres en exposant).
Vous allez vite comprendre pourquoi je prends cet exemple précisément!
S°L°M, avec les voyelles intercalées. Le S peut aussi se transformer avec le temps et devenir un "sh" ( alerte terme technique, ça s'appelle une palatalisation)
SH(A)L(o)M. S(a)L(aa) M.
On a bien la même racine, et deux mots dans deux langues différentes.. qui ont ici exactement le même sens. On refait la même chose sur de nombreux autres mots et on a la preuve que les langues font partie d'une même groupe.
Salomon et Slimane, Slimane et Salomon.. vous seriez pas un peu cousins? hé bien oui, par le biais de la racine SLM. Shalom les cousins!
Mais c'est bien beau tout ça, sauf que si vous n'apprenez pas les langues de ce groupe là, ça ne sert à rien!
Mais c'est le principe qui est à retenir: racines de 2 ou 3 consonnes qui varient peu, et voyelles très variables.
2- Et l'indo-européen, alors?
On dit merci en particulier à Emile Benveniste. Je ne vous conseille pas de vous attaquer d'emblée à ses écrits si vous n'avez aucune base en linguistique, c'est loin d'être quelque chose d'abordable sans un minimum de préparation. Mais c'est passionnant.
L'idée de Benveniste, entre autres idées et entre autres penseurs, est d'avoir repris ce concept de consonnes solides orientales, qui évoluent peu ( et toujours de manière logique, en mettant aussi au jour cette logique), et de l'adapter au groupe indo européen( en gros, il a mis en lumière les fait que les langues indiennes et iraniennes sont apparentées mettons au français, ce qui n'était pas évident à l'époque) en se basant sur des corpus contemporains, médiévaux, antiques, en remontant toujours plus loin jusqu'à trouver une racine " factice", reconstituée, d'un proto état de la langue, non attesté, mais plausible.
Chaque racine reconstituée est notée "*XXX", * indiquant qu'il s'agit d'une hypothèse reconstituée mais plausible d'un état de langue antérieur à l'invention de l'écriture
Il n'y en a pas une quantité phénoménale, puisqu'il s'agissait au final de nommer des réalités tangibles, physiques et contemporaines avant même l'antiquité: donc les liens familiaux, les parties du corps, les phénomènes naturels, les constituants de paysage et les verbes type " courir", "marcher", " chasser", " voir" etc...
Hop un exemple concret, la racine *méh₂tēr (mère) et son évolution dans différents langues filles, vivantes ou éteintes.
Autre exemple assez drôle: saviez vous qu'un pingouin, c'est une bestiole qui se voit bien? le -gouin de pinGOUIN est dérivé de gwyn ( blanc = clairement visible) en gaélique, racine *weyd- (voir).
Je suppose que lorsque les marins des îles du nord voyaient les pingouins, c'est que visiblement, l'île, la terre ou la banquise n'était pas loin. Ou peut être jusque parce qu'il a des plumes blanches..
La même racine ayant une forme *weyd-oh₂-lo- en grec ancien, "image, représentation" qui a donné par évolution " idole", il serait temps de dresser une statue digne de ce nom au dieu Pingu!
révérez moi, je suis votre dieu! |
3- C'est bien beau, mais concrètement, j'en fais quoi, moi?
Je ne vous apprends rien : mémoriser une poignée de racines est plus facile et efficace que d'apprendre par coeur des listes de vocabulaires longues comme une année sans vacances.
Ca ne fera pas non plus de vous des champions des langues qui ont une connaissance intuitive de TOUTES les langues du groupe indo-européennes, surtout celles très éloignées:ce n'est pas parce qu'on parle français qu'on va soudain s'avérer un crack en Sanskrit. Mais ça aide, CARREMENT!
Ca
permet déjà de donner à priori une idée de la signification du mot ou de sa catégorie,
et je sais maintenant pourquoi je confondais les adjectifs " riche" et
"divin" en russe
riche = бога́тый
divin = боже́ственный
Les deux dérivent de la même racine бог par
glissement de sens dieu> dieu de la fortune ( au sens " chance")>
bonne fortune >prospérité>richesse ( mais aussi > mauvaise
fortune> misère, médiocrité)riche = бога́тый
divin = боже́ственный
Et d'un seul coup je me dis, " ha ouaiiiiiis d'accord, c'est donc comme ça que ça marche!", et là, bingo, c'est mémorisé!
Je vous ressors aussi ce que je disais précédemment sur la racine DOM:
J' ai trouvé une explication à une question que je me posais en lisant "le maître et Marguerite" de Boulgakov. L'un des personnages, Ivan, est un écrivain dont le pseudonyme est " biezdomniy", et je me demandais si ça voulait dire " sans maison" ( Dom) ou "sans maître" ( car la racine Dom en latin signifie les deux: la maison le logis, et par extension son propriétaire: Domus et Dominus). Biez signifiant " sans, privé de". Les deux étant possibles pour un écrivain indépendant.
La page dédiée à la racine "dom" m'indique donc que comme je le pensais, ma première idée était la bonne: son pseudonyme signifie " sans domicile" ou "errant", probablement en rapport au fait qu'il ne soit pas affilié à un éditeur précis mais travaille à la demande, ou à son goût de l'indépendance.
Vous voyez maintenant pourquoi j'aime particulièrement travailler avec les racines? J'ai pu inférer toute seule la signification d'un mot que je ne connaissais pas à partir de " préfixe privatif +racine "maison"+ terminaison d'adjectif."
Autre exemple: le portail воро́та et le col (d'un vêtement) воротни́к en russe et la vertèbre ou le vertige en français ont la même origine, la racine qui signifie tourner: Le portail tourne sur son axe, le col tourne autour du cou, le vertige fait tourner la tête et la vertèbre. aussi, mais pas de la même manière!
Je vous jure que repérer ce genre de choses est un gain de temps phénoménal! Et aussi un gain de temps pour la prochaine langue issue du groupe indo-européen que vous voudrez apprendre. Car plus on en connait plus on est à même de repérer les " haaaa ouiiiiiii, c'était donc ça! mais ça ressemble à tel mot en anglais/allemand/espagnol, "etc...)Autre avantage et non des moindres, ça explique pourquoi le français est aussi tordu au niveau orthographe. Je vais sadiquement prendre le mot ( et non la racine )Vert.
La couleur.
Que seul son T final permet de différencier de Ver, Vers, Vair ou même verre selon les régions - chez moi on différencie encore ce dernier mot plus en allongeant la voyelle avant les 2R qu'en prononçant réellement le E final d'ailleurs.
Et il n'a rien à voir avec l'idée de "tourner", et tout à voir avec " vert" viridis en latin.
Allez un tuyau:le D et le T en linguistique, c'est exactement la même consonne, que seul distingue son caractère sourd ou sonore. Je vais y revenir d'ici peu.
Donc viridis a perdu un i intercalaire et évolué en verT, avec un T prononcé, final, qui a fini par ne plus se prononcer du tout. Mais c'est ce qui explique que le nom associé à l'adjectif vert soit encore verDure , avec un D. Le nom, moins couramment prononcé que l'adjectif, à moins évolué est est resté plus proche de sa forme latine. La forme féminine de l'adjectif avec son E final " protège" de l'usure le T qui se prononce donc encore. c'est tout bête.
Et c'est à rapprocher de viril, virilité et tout ça.. le printemps, la sève qui monte.. Le VERT-galant est un dragueur vieillissant mais... toujours vert le pépé! Comme .. Henri IV dont c'était le surnom quasiment officiel.
4- oui, mais concrètement, je fais QUOI, à part manger les mots par la racine?
A part apprendre les racines, ou au moins apprendre à les repérer, ce qui permet de chercher les mots dans une dictionnaire de racines et non alphabétique, ce qui est aussi un gain de temps colossal, il y a une autre chose qui peut être profitables.
Désolée, on repart dans la phonétique pour quelques paragraphes!
Je disais plus haut que T et D sont la même consonne. F et V aussi. Ch et J. S et Z. ellesmarchent par paires.
C'est même tellement important que voilà le tableau simplifié des consonnes ( françaises, mais ici en alphabet phonétique) pour mémoire, classées selon leur articulation.
Voisée = sonore
non voisée = sourde.
Les consonnes d'une même colonne sont interchangeables. Le N fait partie apico-dentales ( la pointe de la langue contre les dents), le M des bilabiales ( avec les deux lèvres)-> articuler une apico dentale, juste avant une bilabiale la transforme automatiquement, mécaniquement en bilabiale:et voilà pourquoi en français le N devient M devant un P ou un B.
Ce n'est pas qu'une fantaisie de l'écrit pour nous eMbêter, c'est une réalité sonore.
Des consonnes peuvent aussi migrer vers la colonne voisine si l'articulation est proche
bilabiale<->labiodentale, labiodentale<->apicodentale.
Mais en aucun cas une bilabiale ne deviendra soudain une vélaire, elles sont trop éloignées pour ça.
on voit aussi que le L et le R français sont très éloignés.. et donc pas du tout interchangeables contrairement à certaines langues qui ne font pas la différence, pas vrai, le japonais?
Le R français est vraiment très particulier, tout seul dans sa catégorie, et c'est vraiment LE son qui va poser problème à un étranger qui apprendre le français ( d'ailleurs en chant ou en théâtre, pendant des années, pour simplifier l'articulation, on prononçait simplement un R roulé à l'italienne,ce qui donne des enregistrement que l'évolution des techniques a rendues plus que désuètes, disons passablement ridicules et inécoutables, et qu'on peut dater presque à la décennie près... Ce n'est plus possible maintenant, il faut prononcer une vrai R français, sauf en baroque où on garde la prononciation " reconstituée")
Donc le second conseil serait de non pas apprendre par coeur le tableau des consonnes avec leurs caractéristiques techniques, mais de le consulter quand même dans la langue que vous apprenez parce que chaque système a ses consonnes, qui peuvent justement dans les racines migrer vers une autre du même groupe ou du groupe voisin. En prendre conscience rendra la mémorisation des racines plus facile et inversement.
Après on peut être très bon en langue sans conceptualiser, parce qu'on a une bonne oreille, une bonne mémoire, etc.. mais pour moi, conceptualiser et voir comment toutes ces briques dignes d'un jeu de construction s'assemblent, m'aide à retenir et à.. deviner parfois le sens, je n'en suis pas peu fière :D
Dans mon cas, c'est moins une question de mémoire que de stratégie et de rangement analytique.
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