mercredi 1 septembre 2021

Problèmes de polyglottes (2) les études

Cette fois ce sera moins revendicatif vis à vis des gens qui ne comprennent pas ma passion pour les langues et se permettent de critiquer.

Mais il y a aussi des choses à dire sur les études, dans un cadre très officiel. Encore que bon, il y a toujours l'incompréhension de certains...

Tout ce qui est linguistique

Les gens qui ne connaissent pas la différence entre un linguiste et un polyglotte
" je passe un diplôme en linguistique"
"Vraiment, tu parles combien de langues?
" heu, ce n'est pas ça.. pfff bon, 5 à différents niveaux""

Et ça c'est quand ils ne partent pas du principe que " ok, les langues encore je comprends, mais la linguistique, ça ça sert vraiment à rien".. euh, par exemple à tracer des ponts entre divers groupes de langue, à comprendre comment elles évoluent. Tu vois, c'est une science.
Un peu comme la biologie, l'évolution... ben voilà, c'est la théorie de l'évolution adaptée aux langues...mais si c'est passionnant, reviens, je ne t'ai pas encore parlé de l'étymologie, c'est cool, c'est de l'archéologie des mots!

Donc pour les distraits une explication s'impose:

- un linguiste a en général des bases en plusieurs langues, il peut les décrire, comparer la grammaire, la syntaxe, le vocabulaire ou même la ponctuation, selon son domaine de prédilection. Il doit en avoir une connaissance théorique, dans laquelle les langues anciennes ont leur place, qui permet de faire une étude de l'évolution. Mais parler les langues n'est pas le coeur de son métier, il les étudie comme un objet scientifique, même si la plupart des linguistes en maîtrisent plusieurs car ils sont passés par les langues AVANT de s'intéresser à leur structure. Mais a priori, un linguiste a surtout besoin de lire, comprendre et analyser plus que de parler.

Exemple, je reprends mon Georges Dumézil, linguiste, qui connaissait une trentaine de langues, ou plutôt de systèmes (on peut difficilement soutenir qu'il parlait latin, grec ancien, sanskrit), Claude Hagège ( qui parle une dizaine de langue mais connait une cinquantaine de systèmes), Tolkien, qui a utilisé ses connaissances en philologie ( mélange entre la linguistique, l'histoire, la littérature) pour inventer des langues.

- Un spécialiste en langue
XYZ doit connaître la langue en question le mieux possible, souvent il en connaît aussi plusieurs, mais il ne les étudiera pas de la même manière. Il peut vouloir devenir traducteur comme moi, professeur de langue ( le plus courant), travailler dans le commerce , le droit international ou le tourisme, ce qui nécesite d'autres compétences. En général il se consacre à un eutit nombre de langues de manière plus approfondie. Et doit donc maîtriser la pratique orale aussi bien qu'écrite, la compréhension aussi bien que la production.
Là il y a beaucoup d'exemples, traducteurs, professeurs spécialisés, souvent leurs noms ne sont pas connus, car c'est tout autant le prof d'anglais que vous avez eu en 6 qu'un traducteur ou interprête officiel à Bruxelles. Quelqu'un que j'aime bien, le romancier Boris Akounine, qui est géorgien ( je tiens un de mes prochains natifs), traducteur de japonais, habite en Angleterre et parle français. Donc au moins 5 langues, dont 2 natales et une de travail, mais on est loin des 50 de Claude Hagège

- Et il y a les autres polyglottes, souvent hors de cadre d'études universitaires, dont le but est de parler des langues. Souvent ils n'ont pas forcément besoin de lire ou d'écrire, et peuvent même se contenter de seulement parler. Là, il y a toute une variété de gens ceux qui vont préférer approfondir quelques langues dans toutes leurs dimensions et ceux qui vont vouloir connaître un peu de beaucoup de langues, surtout à l'oral.
Et il n'y a pas de définition précise : un polyglotte peut maîtriser 2 langues ou 50, à haut niveau ou à niveau moyen, l'objectif est avant tout de les parler.
Par exemple j'aurais du mal à considérer comme polyglotte quelqu'un qui parle français et connaît, même très bien le grec ancien, le latin, le hittite, l'akkadien, etc.. s'il ne parle QUE français. Ce sera un spécialiste en langues anciennes ( un cas hypothétique, actuellement ce n'est plus vraiment possible de ne parler réellement qu'une langue)
Et il y a toutes les possibilités, Il est rare qu'un hyperpolyglotte ( plus de 6 langues) les maîtrise toutes au même niveau, et chacun fait comme il veut: apprendre des rudiments de nombreuses langues ou apprendre moins mais de manière plus approfondies. Il n'y a pas de jugement de valeur, tout est légitime à partir du moment où celui qui a survolé  quelque chose ne se pose pas en spécialiste de ce quelque chose.
Il y a beaucoup de politiciens, acteurs, artistes dans ce cas, qui ont besoin de donner des conférences, prononcer des discours, répondre à des questions, voire de s'auto doubler ou de jouer dans une autre langue, et là, j'en choisis un incontestable et hyperpolyglotte, le très regretté Christopher Lee et ses au moins 9 langues parlées couramment. Mais la plupart  n'ont pas spécialement besoin de lire ou d'écrire

- Et même une même personne peut au fil du temps et au gré des besoins varier les approches:
L'exemple: moi.
Je suis plutôt par goût du côté " peu mais sérieusement", mais je ne m'empêche jamais de tenter le coup si quelque chose m'intrigue. Ou d'arrêter si ça ne me correspond pas ou plus. Mais je ne me définis pas comme linguiste ( j'ai de bonnes bases, mais sans avoir passé de diplôme dans ce domaine), ni comme spécialiste en une langue pour le moment (je n'ai qu'une licence en russe, c'est trop peu pour parler de spécialité), j'en baragouine 3 au niveau B2 + le français, je n'entre pas dans la catégorie des hyperpolyglottes, le reste est pour moi à trop bas niveau pour être comptabilisé pour le moment. Je ne pourrais pas entrer, même si je le voulais, dans l'association des hyperpolyglottes ( qui requiert de parler 6 langues à niveau courant (sans bien préciser ce que c'est d'ailleurs)

Je parle français, j'apprends l'allemand et le russe officiellement ( université), et le géorgien maintenant informellement. J'ai mis en pause pour une durée indéfinie le japonais qui correspondait à une certaine période de ma vie, mais est moins attrayant maintenant que j'ai des projets pro avec le russe, ma langue coup de coeur. L'anglais que j'ai me suffit, je le maintiens sans chercher à faire plus. J'ai tenté l'italien ce printemps par curiosité, mais ce n'est ni un coup de coeur ni une nécessité. Au cours de la scolarité et après, j'ai abordé le latin, le grec ancien, l'espagnol, le mandarin, l'hébreu et le néerlandais. Mais ce ne sont ni des nécessités, ni des langues que j'ai vraiment envie d'approfondir.


autres points liés à ça....
Oublier que vos amis sont monolingues et finir par les bassiner avec la linguistique.

Faut que je me trouve des amis qui partagent ma passion pour les racines indo-européennes. 😜
Et pour les autres, pas grave, j'vous aime quand même.. tant que vous ne critiquez pas mes loisirs bien sûr :D
Mais je vous jure que la linguistique n'est pas un truc de vieux savant poussiéreux (ok, pas QUE) Henriette Walter est une linguiste passionnée et passionnante à écouter.

Essayer d'expliquer la différence entre deux mots proches
Ne pas pouvoir le faire sans utiliser l'API.
L'interlocuteur ne lit pas l'API.


Là par contre, j'insiste, c'est très très très très utile et pas que pour les linguistes. Pour quiconque veut apprendre au moins une langue étrangère. Rendez-vous service et apprenez-le. Par pitié.

Les études de langues en général:
Devoir apprendre une langue que vous ne supportez pas

Ou pour laquelle vous n'avez pas vraiment d'affinité. que ce soit imposé ( Latin pour moi) ou par défaut ( j'ai du faire 2 fois 10 heures de deux langues au choix, parmi hébreu, chinois et arabe.. am, stram, gram...bon, en fin de compte, l'emploi du temps et ses trous ont choisi pour moi pour moi...)
Mais le pire pour moi, c'est l'anglais, passage obligé que jai repoussé au maximum, comme une visite chez le dentiste. Je n'ai aucune affinité avec cette langue que je n'ai parlé que 2 fois avec plaisir ( logiquement en voyage à Londres et dans l'Ontario).
Je la cotoie au quotidien sur Internet mais pour moi ce n'est ni plus ni moins qu'une brosse à dent: on en a besoin, on l'utilise, mais ce n'est pas spécialement un grand moment de joie que de l'utiliser. Et je le fais tout aussi mécaniquement et en pilote automatique. Et je ne vais pas utiliser ma brosse a dents plus que nécessaire, juste parce que je pourrais en théorie le faire. Je ne pousse pas un gros youpi quand j'apprend un nouveau mot en anglais. Je n'aime pas le parler. Et c'est bien pour ça que je traduis ces images qui n'existent pas dans d'autres langues.

Les cours de langue
Cours n°1
Regarder l'alphabet cyrillique en se demandant comment ton ami arrive à le lire si facilement

Mais ça se fait et ça se fait plutôt facilement, pour peu qu'on prenne les choses dans le bon ordre. Et rassurez-vous d'ici peu vous y arriverez aussi, à force de pratique.

Cours pour débutants:
Commencer un cours pour débutants avec des camarades qui parlent couramment la langue mais ne savent ni la lire ni l'écrire. Et qui répondent aux questions avec un accent parfait alors que tu galères simplement pour comprendre.

Tout le monde dans ton cours est soit originaire directement, soit a vécu dans un des pays où la langue est parlée.
A part toi.

Vécu dans les deux cas: moi fausse débutante en russe et en allemand en première année en Belgique. Un classe d'allemand constituée de faux-débutants, super, ça avance assez vite pour moi. Beaucoup trop vite pour les vrais débutants. Mais pas de natifs, ouf!
Une classe de russe contituée à moitié de russes ou de gens dont les parents étaient russes et qu le parlaient en famille. Proportion de 90% de natifs en fin de première année, parce que les non natifs débutants ont laissé tomber en cours de route pour la plupart.

Moi cette année en visio conférence: non native.. qui a fini le cours de grammaire avec de meilleurs résultats que certains natifs, parce qu'ils y sont allés au talent depuis 3 ans et parlent parfaitement.. sans connaitre les règles de grammaire " ouais , je sais le dire, je ne me prends pas la tête avec ça". Sauf quand le professeur demande de justifier l'emploi de tel ou tel cas particulier dans telle ou telle circonstance, et que les non-natifs on bien lu le cours. Connaître la réponse c'est bien, mais il faut l'expliquer, et en 3° année, ceux qui n'ont pas ouvert les cours depuis le début de la première année en comptant sur leur pratique, ça ne pardonne pas.
En première année, en Belgique, la prof nous avait dit " très vite vous allez avoir un niveau en russe supérieur à celui de la plupart des russes, il parleront plus vite et plus fluidement, mais emploieront moins de vocabulaire et ne savent pas pourquoi la langue est comme ça. Vous serez donc plus experts qu'eux si vous vous accrochez. Je confirme!

parler suffisamment couramment pour comprendre le professeur mais ne plus comprendre dès que l'interlocuteur a un autre accent.


Et pour ça il faut écouter beaucoup de sources variées, la radio, la TV, les podcasts, des chansons et pas seulement le matériel pour étudiants, mais surtout des choses pour natifs.
Pour le russe, je tente d'écouter des sources qui viennent aussi des anciens pays d'union soviétique, je parle avec des ukrainiens, des gens des autres républiques de la fédération russe, pas seulement avec ceux de la capitale.
Et bien sûr apprendre du vocabulaire varié:

être super enthousiaste d'apprendre du vocabulaire en cours, avant de te rendre compte que tu ne le connais pas dans ta langue natale...

Ou que tu le connais seulement en théorie, qu'il ne te serviva pas au quotidien, pas plus en VO qu'en VF: au lycée j'ai eu des listes à apprendre par coeur en allemand. Des listes d'outils, avec des choses comme "perçeuse à percussion" ( Schlagbohrmaschine) ou " frein de rétro-pédalage ( Rucktrittbremsen), du vocabulaire religieux (du genre le confessionnal, le prie-dieu, le calisse, le ciboire..). Je n'étais pas super enthousiaste je le reconnais.. Presque 30 ans plus tard, je n'ai jamais oublié comment dire Rucktrittbremsen et Schlagbohrmaschine, je ne les ai jamais employés de ma vie et ne les emploierai probablement jamais. Mais c'était tellement absurde que ça m'est resté en tête.

Cette année, donc bien 30 ans plus tard, j'ai eu a apprendre le vocabulaire technique de la construction d'une isba, et les essences d'arbres en russe: je me suis empressée d'oublier le lendemain de l'examen tout ça, je n'ai aucune perspective de travail en tant que bûcheronne, garde-champêtre ou architecte rurale en Russie un jour.
J'ai eu aussi la liste des détails symboliques et des différents registres du décors dans une église orthodoxe, des mots grecs russifiés pour la plupart. 6 mois plus tard je ne me souviens que du phélonion ( grand manteau du pope, qui ressemble suspectement au "tapis persan volé et tapis volant percé" qu'Obélix porte autour du cou dans un des albums d'Astérix) parce que "la plante fait l'oignon et l'oignon fait la farce"

Et comment apprendre tout ça?

apprendre le vocabulaire en réécrivant la même liste de mots encore et encore et encore, et encore...

Merci Anki! Merci Mosalingua, Merci à vous d'exister! Merci Vladimir Sintezretchi, surnom que j'ai donné à la voix de synthèse en russe de la tablette!

Truc: j'écris une fois le mot sur papier. Je cherche une liste sur le logiciel Anki, si possible avec le son, je sélectionnne et je révise jusqu'à ce que le mot entre en mémoire, et parallèlement une fois de temps en temps je le réécris dans des listes thématiques ou des phrases. Ca fait beaucoup moins de réécriture, et ça marche bien pour les gens comme moi qui ont ue mémoire auditive et la nécessité d'entendre le mot pour le mémoriser.

et j'ai gardé le problème le plus épineux pour la fin:
Les ressources de langues te définissent par défaut comme étant un homme.
Tu n'es pas un homme.
Et c'est encore plus compliqué pour les non binaires


Et ça peut-être un vrai problème quand la méthode n'imagine même pas que 50% des étudiants sont des étudiantes, et encore je ne rentre pas dans les cas des transgenres par exemple.
Non simplement il y a un préjugé dans la tête des concepteurs de méthodes que le lecteur ne sera pas a priori une lectrice.

Mais, même si je ne suis pas un modèle de féminité idéal, je suis une femme, qui parle d'elle au féminin. Et comment je fais, moi, pour deviner comment ça se dit, si on ne me donne pas un exemple de phrase au féminin? Et je ne parle pas là du genre grammatical qui fait qu'on dit une chaise/ un tabouret/ un fauteuil/une table...dans pas mal de langues. Mais vraiment, on manque souvent d'exemple d'accords en genre des verbes, pronoms et adjectifs quand une femme parle.
Voire de vocabulaire (de mémoire le " je" en japonais est souvent différent quand un homme ou une femme parlent, et dans certaines langues c'est le vocabulaire qui change complètement)
Donc au moins 2 exemples sont nécessaires. Et même quand il n'y a pas de différence et que les mots ne sont pas genrés (merci le géorgien tu m'ôtes une épine du pied de ce point de vue, au point que le plus grand roi du pays était une femme 💓) c'est important de le signaler.

Or trop souvent il y a l'idée implicite que ce sont les hommes qui étudient. En cours, on peut moduler les exemples en fonction de l'auditoire, mais la méthode imprimée est souvent une mise à jour au niveau vocabulaire d'une vieille méthode, sans vraiment d'adaptation à la société réelle.

Premier semestre en ligne en russe cette année, peu de gens se connectaient tous les jours. Sur la dizaine de personnes présentes, il y avait 1 homme pour 9 femmes. Et parmi les profs, 1 seul homme aussi. Second semestre: l'étudiant a trouvé un travail, et nous n'étions plus que 5 connectées régulièrement. L'accord au féminin est de mise: 100% de l'effectif présent régulièrement était féminin.
En Belgique aussi, dès la première année, il y avait au moins 80% de femmes dans l'amphi. C'est une réalité, les universités, du moins en lettres, langues, sciences humaines ( un peu moins en matières techniques il est vrai) sont remplies de femmes tant côté profs que côté élèves. La réalité de terrain dans les cours de langues, c'est que PLUS de 50% des étudiants sont des étudiantes. Il va falloir en tenir compte un jour.

Je ne demande pas de trucs style orthographe inclusive que je n'emploie pas parce que c'est très très lourd, et que j'ai parfaitement en tête que l'enseignant ( neutre grammatical ici) a toutes les chances d'être une femme. Il n'y a pas de militantisme dans ma remarque. Je veux simplement connaître la possibilité de parler de moi de la manière qui me convient et ne pas être considérée comme au mieux secondaire, au pire inexistante.

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